La Fonction Publique au service de la France et de la démocratie
« Si un gouvernement voulait mettre en place des mesures contraires à nos institutions, les conflits entre l’administration et le pouvoir seraient incessants »
Depuis quelques jours, la presse s’interroge : que feraient les hauts fonctionnaires si l’extrême droite arrivait au pouvoir, en France ? La haute fonction publique française n’est ni aveugle ni amnésique.
Aucun n’a oublié le honteux gouvernement d’extrême droite de Vichy ou l’histoire de « l’école d’Uriage ». Tous se sentent concernés par les critiques récurrentes de responsables politiques les accusant d’appartenir à une soi-disant élite déconnectée. Pourtant, peu savent comme eux combien il est difficile de régler les difficultés de la France, et combien il est facile de les accentuer par des choix aussi simplistes que funestes.
Voter, c’est choisir pour les autres, pour l’intérêt général et ce que l’on pense bon pour son pays au-delà de sa situation personnelle. Le choix, collectif, des Français s’imposera à tous. Mais les hauts fonctionnaires feront, ensuite, des choix personnels, chacun en fonction de ses valeurs, de son histoire, de sa situation. Chacun y a pensé, souvent depuis son premier concours.
Il y a ceux qui travailleront « ailleurs », s’ils le peuvent. D’autres « avec » ou « malgré ». Certains « contre ». Sur les quelque 20 000 hauts fonctionnaires de l’Etat, qui, en France, ne sont pas heureusement recrutés sur un critère politique, il s’en trouvera bien quelques-uns qui travailleront « pour », plus par nécessité que par conviction car les « convaincus » ne travaillent sans doute plus depuis longtemps pour des institutions dont ils contestent les valeurs et principes fondamentaux.
Ce serait finalement « comme en 1940 », dernière expérience de l’extrême droite au gouvernement de la France ? Non, car il y a des différences majeures. Le Conseil national de la Résistance et le gouvernement provisoire ont cherché, dès 1945, à poser des digues contre les atteintes aux valeurs républicaines.
Aujourd’hui, un agent public a pour obligation de refuser d’exécuter un ordre manifestement illégal et qui risque de compromettre gravement l’intérêt public. Il engage sa responsabilité en ne le faisant pas et ne peut s’abriter derrière l’obéissance hiérarchique.
Les instructions que recevraient les hauts fonctionnaires seraient jaugées, par eux, à l’aune de ce principe de légalité. Pas seulement vis-à-vis de la loi votée par le Parlement, mais aussi par rapport à notre Constitution, avec le préambule de la Constitution de 1946, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, aux conventions internationales et au droit communautaire. Au-delà, un juge indépendant veille à ce que ces principes soient respectés.
Restaurer les garanties
Le Conseil national de la Résistance a entendu aller plus loin. Le recrutement, la formation, la carrière des hauts fonctionnaires ont été profondément réformés pour prévenir les dérives. La réforme en cours de la haute fonction publique entend explicitement restaurer ces garanties dans leur intention originelle. On comprend mieux pourquoi l’extrême droite n’en veut pas. Le soutien que nous apportons à cette réforme procède, à l’opposé, directement de la confiance que nous portons aux idées d’hommes et de femmes qui avaient sous leurs yeux l’effondrement moral et criminel de la haute fonction publique sous le gouvernement de Vichy et entendaient en prémunir la France à jamais.
Les hauts fonctionnaires sont au service de la France et sa démocratie. Ils servent son peuple et ses institutions, qui ne se limitent pas à des organes gouvernementaux, mais intègrent des principes, dont l’Etat de droit. Depuis trente ans, les contradictions économiques, écologiques, territoriales, sociales de notre pays ne se résolvent pas, voire s’accentuent ; ils multiplient les prouesses techniques pour essayer de rendre réelles les mesures décidées par les gouvernements que les Français se donnent. Rémunérés trois à quatre fois moins que dans le privé, ils restent, par conviction, au service de l’Etat, tout en étant régulièrement accusés de trahir le peuple qu’ils servent en silence. Leur loyauté ne peut être mise en doute.
Mais si un gouvernement voulait mettre en place des mesures contraires à nos institutions, les conflits entre l’administration et le pouvoir seraient incessants. Loin d’une alternance politique, ce serait une période de lutte entre des institutions cherchant à survivre et des gens qui entendent les abattre par des moyens constitutionnels ou autres.
L’Etat de droit est aussi nécessaire à nos institutions démocratiques que l’air au corps humain. Les institutions protègent les citoyens. Mais juridictions, hauts fonctionnaires, traités ou constitutions ne sont que des défenseurs temporaires. Seuls les citoyens peuvent protéger durablement leurs institutions et leurs droits.
Luc Farré - secrétaire général de l’UNSA-Fonction publique
Jean-Pascal Lanuit - membre du conseil d’administration de l’Institut national du service public (INSP, ex-ENA) au titre de l’UNSA-Fonction publique
tribune publiée dans le journal Le Monde du 4 juillet 2024