L'UNSA s'oppose à la "désadministration" de la France
"Ubu sur Seine" tel est le titre de la tribune de Jean-Marc Bœuf, Secrétaire Général d'A&I UNSA, le syndicat de l'administration et de l'intendance affilié à l'UNSA Éducation. "Débureaucratiser" n'est pas "désadministrer" !
UBU sur Seine
« Un défilé de cinglés ». C’est ainsi que tantôt, David Frum, ex-plume de G-W Bush, en rien un gauchiste enragé, a qualifié la belle équipe que Donald Trump s’apprête à régimenter.
Au sein de ce défilé, Monsieur Kasbarian ci-devant ministre de la fonction publique, semble avoir trouvé prêt-à-penser à son goût : Elon Musk, bombardé, du haut de ses 347 milliards de dollars acquis en partie grâce aux administrations fédérales, chef du « département de l’efficacité gouvernementale » qui agira contre la bureaucratie, jugée galopante et dévastatrice, mais, c'est à noter, « en dehors du gouvernement fédéral ».
Cependant, après avoir chaudement félicité Elon Musk pour sa promotion et sa croisade vengeresse, Guillaume Kasbarian a finalement tenu à minimiser la signification de cette effusion en disant s’il s’agissait avant toute chose de saluer un homologue.
Qu’est-ce à dire, homologue ? M. Kasbarian aspirerait-il à agir en dehors du gouvernement, anticipant une censure annoncée ? Où plus sûrement M. Kasbarian aurait-il oublié où il habite ? À l’heure où des constitutionnalistes ultra-conservateurs développent une théorie de « l’exécutif unitaire » qui autoriserait Donald Trump à intervenir par simple décret pour démanteler l’État fédéral au prétexte qu’il en serait le seul chef - sur le fondement d’une constitution qu’il appelait naguère à suspendre, jamais sans doute le système politique et administratif américain n’a été plus éloigné du nôtre, jamais peut-être le risque de « despotisme démocratique » dénoncé par Tocqueville au chevet de cette même Amérique n’a été aussi proche.
Dès lors, qu’un ministre français de la fonction publique qualifie Elon Musk, en connaissance de cause, ou pas, « d’homologue », au-delà de la simple erreur factuelle - il ne sera pas secrétaire d’État et de toute manière un secrétaire d’État américain ce n’est pas un ministre français - relève du déni de ce qu’est la fonction publique française moderne, née, après l’expérience anti-démocratique et corporatiste de Vichy, de la volonté de protéger l’État, au travers de ses serviteurs, de certaines dérives, dérives qui sont justement celles que s’apprêtent à suivre les USA, avec pour mantra la soumission absolue au chef, au prétexte d’une victoire démocratique obtenue par mensonge et démagogie.
Alors bien sûr, reste la bureaucratie, me direz-vous, et sa paperasserie - le red tape de M. Musk.
J’appartiens à une organisation qui syndique, a priori, des bureaucrates en puissance, les personnels administratifs du système éducatif, de la maternelle à l’enseignement supérieur. Or, nous avons à plusieurs reprises dit et écrit que nous ne voulions pas, qu’il ne fallait pas bureaucratiser l’école, mais l’administrer.
Clause de style, diront certains.
Et bien non.
L’un des effets de la bureaucratie, analysé par les sociologues, est qu’elle tend à limiter toujours plus l’autonomie des agents et à rendre l’organisation inefficace.
Administrer, ce n’est donc pas bureaucratiser et débureaucratiser, ça ne doit pas être désadministrer.
Le Trumpisme a un tropisme, fondé sur une hostilité idéologique fondamentale à l’endroit des administrations publiques.
De ce point de vue, louer a priori, sans bénéfice d’inventaire, l’action d’Elon Musk qui s’inscrit dans cette idéologie, c’est courir le risque de la désadministration au prétexte de la débureaucratisation.
Pour en rester à la seule administration scolaire, un rapport récent d’un sénateur LR, Olivier Paccaud, peu soupçonnable de complaisance a fait apparaître, chiffres à l’appui, que le système éducatif français était plutôt sous-administré avec des agents peu ou mal reconnus utilisant des outils informatiques en tout perfectibles. Dans pareil contexte, que signifierait débureaucratiser au sens américain du terme, qui semble être celui du ministre, si ce n’est de fait, en termes de service, désadministrer un peu plus pour administrer beaucoup moins ?
Alfred Jarry fait dire sur scène à son Ubu devenu roi de Pologne « Avec ce système j'aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m'en irai. »
Certes, nous n’en sommes pas encore là avec Donald Trump mais son esprit de vengeance, sa détestation affichée pour tout ce qui ne lui obéit pas, le tout souligné par des sorties toutes plus ubuesques les unes que les autres, donnent crédit à celles et ceux qui le traitent de fasciste.
Dans ces conditions, tout rapprochement idéologique avec cet individu, même fortuit, m’apparaît comme extrêmement dangereux et diamétralement contraire aux valeurs de notre république. Nous aurons peut-être, après « Ubu sur la butte », « Ubu sur le Potomac ». Faisons en sorte d’éviter « Ubu sur Seine ».
Toutefois, je voudrais finir par une note positive, pour ne pas plus qu’il ne faut contrarier la sincère américanophilie de notre actuel ministre de la fonction publique.
De toutes les trumperies, il est un slogan qu’il pourrait sans déchoir reprendre en l’adaptant à nos réalités locales :
MAGA= Make Administration Great Again.
Jean-Marc Boeuf
Secrétaire Général de A&I UNSA